Faustin Bentaberry et les cavalcades
Bonjour à nos lecteurs,
A quelques semaines du 40° anniversaire de la création de la cavalcade d’Ispoure « Izpurako Libertimendia », nous ne pouvions passer sous silence l’histoire de Faustin Bentaberry. Dans nos articles parus les 3 et 4 novembre 2021, sous la rubrique « Histoire », je vous parlais de Madame Servant et de son père Faustin Bentaberry.
Ce nom ne vous est pas inconnu, puisque c’est le nom que porte notre salle des fêtes, baptisée ainsi en l’honneur de ce célèbre personnage d’Ispoure.
Un hommage lui a été rendu par l’Association Argian le 16 septembre 2016, au cinéma Le Vauban de Saint Jean Pied-de-Port. Trois Izpouriens faisaient partie de cette association : les frères Errecart (Joseph et Noël), et Jacques Etchevers. Aujourd’hui, cette association qui fut fortement active à Garazi, a été dissoute, ses membres vieillissants ayant jeté l’éponge
Découvrons sa biographie :
Faustin était né le 16 Août 1869, dans la maison Gaineko-Aroztegia, sise au carrefour de la Fournaise, face à la maison Alhasta, en bordure du chemin départemental ,qui porte aujourd’hui le nom d’avenue du Colonel BELTRAME Il y a une soixantaine d’années, sur la partie arrière de cette maison, existait encore la forge désaffectée, et le travail à ferrer, dispositif sophistiqué fixé au sol, permettant d’immobiliser les grands animaux (chevaux et bœufs) en particulier lors du ferrage.
Il descend d’une famille de musiciens, et son père, Jean, forgeron, est aussi musicien amateur.
Son frère Jean (1872-1954) jouait aussi du violon et de la clarinette, le frère cadet Jean-Baptiste (1882-1971) également musicien et danseur. C’est d’ailleurs à ce dernier titre que nous l’avons bien connu, puisqu’il marquait les pas des mutxikoak au centre du cercle formé par les danseurs de Madame Servant.
A 18 ans, Faustin apprend le solfège au cours complémentaire, avec Mr Jean-Baptiste ESPRABENS, instituteur à l’école publique de Saint Jean Pied-de-Port.
Faustin tiraillé d’un côté par son parrain le sollicitant pour suivre des études, et de l’autre, par son père qui voulait en faire un forgeron, compris très vite que marteler le fer à longueur de journée, n’était pas très bon pour entretenir l’agilité de ses doigts devant pincer les cordes du violon ou actionner les clés de la clarinette. A vingt ans, il devint donc musicien professionnel.
En 1894, il épouse Joanaño ARDINA (1876-1959) de Saint-Michel. De cette union naquirent 8 enfants dont 3 moururent en bas âge. Nous ne retiendrons que les cinq suivants :
- Jean (1895-1973)
- Marie, épouse de Pierre Elhorga (1902-2000)
- Marie-Jeanne épouse de Paul Tauziat (1904-1990)
- Dominique, épouse d’Alexandre Servant (1907-1990), notre institutrice appelée communément Monique.
- Jean Jules (1911-1936) décédé à l’âge de 25 ans
Jean Bentaberry l’aîné fut un trompettiste réputé, qui devint directeur de l’orchestre du Théâtre du Capitole à Toulouse (voir nos publications antérieures)
Durant sa vie de musicien, Faustin recueillera auprès de musiciens fameux et de Garaztars âgés, les pas des sauts basques et annotera les musiques pour les sauver de l’oubli.
Ce sera pour Faustin, le début d’une carrière exceptionnelle de musicien, sollicité de toutes parts pour animer les mariages à Garazi,les fêtes Dieu es fêtes patronales avec son orchestre, les occasions festives avec ses danseurs jusqu’à Barcelone et Londres, et bien sûr les cavalcades.
En 1913, pour le carnaval, Ispoure avait mis en place une cavalcade avec 100 volants et 50 cavaliers voulant traverser Donibane Garazi pour se rendre à Uhart-Cize.
Le conseil municipal de Saint Jean-Pied-de-Port refusa la traversée de sa ville, si bien que la cavalcade dû traverser la ville en silence, par groupes de 4 danseurs entourés par les gendarmes.
Durant le carême, toutes danses en public étant interdites par le clergé, Faustin mettait à profit cette période pour répéter avec ses musiciens, et apprendre les sauts basques aux jeunes du canton dans la cuisine de la maison Aroztegia du bourg acquise en 1895, rebaptisée depuis Faustinenea.
De nombreux voisins venaient regarder les danseurs et écouter cette musique, sous prétexte d’achat dans l’épicerie que tenait l’épouse de Faustin, Joañaño.
Les jeunes y venaient par équipes de villageois au gré des cavalcades où ils devaient se produire. Ils venaient « Irrintzinaka » : c’est dire l’ambiance qui régnait dans le bourg d’Ispoure. Mon père, Dominique Germain, trombone de l’orchestre Faustin et premier voisin, racontait que le sol en ciment de la cuisine de Faustinenea était tellement usé par les pas des danseurs autour de la table, qu’il fallut le remplacer par un plancher. Le seuil de la porte, conserve toujours les stigmates de cette usure.
Il rajoutait aussi que chacun apportait de quoi boire pour la soirée.
A partir du mois de mai, il animait les fêtes Dieu d’Iholdy, Hélette et autres communes conservant cette tradition.
Ensuite, le rythme des fêtes de villages allait s’accélérant pendant l’été, pour s’arrêter en octobre.
Faustin avait un fort attachement avec les habitants de Valcarlos, où il jouissait, et encore aujourd’hui, d’une véritable vénération. Après Ispoure, c’était son village de prédilection, sa seconde patrie…Il s’y rendait très souvent et les Luzaidars lui montraient beaucoup d’attachement. Comme souvent, il commençait par jouer les sauts au violon, puis continuait à la clarinette pour mettre plus d’ambiance. Après les sauts et les kontra ddantzak, il jouait les polkas, les valses et autres danses qui étaient vues d’un mauvais œil par les curés parce que dansées en couples.
Précisons que, selon le clergé, les bals devaient impérativement cesser à l’angélus du soir, soit 20 heures.
A Arnéguy, les musiciens constatant une bonne ambiance parmi les danseurs, prirent la décision de continuer de jouer, dépassant cet horaire, quand tout à coup, le glas sonna au clocher de l’église. Bien sûr la musique s’interrompit immédiatement, les danseurs aussi, chacun se questionnant sur le décès survenu dans la communauté villageoise. Le curé sortant de l’église après le glas, fut questionné pour connaître l’identité de la personne décédée, et répondit : « c’est le bon sens qui est mort »
Il est vrai que le charme de sa clarinette passait mal aux yeux du clergé et des puritains, le qualifiant même d’instrument du diable. L’évêque de Bayonne le fit excommunier, de même que ses musiciens. Faustin, catholique pratiquant, pour faire ses pâques, se tourna donc vers le curé de Valcarlos qui acceptait la cavalcade des volants et avec lequel il s’était lié d’amitié, mais l’évêque de Bayonne intervint auprès de celui de Pampelune pour interdire au prêtre de Valcarlos de lui donner les sacrements.
Lors de l’hommage à Faustin réalisé à Ispoure, les anciens danseurs de Valcarlos-Luzaide étaient là.
Dans la revue « Euskal Herria » - Le Pays-Basque – de 1903, on pouvait lire ceci :
« Nous n’avons rien à dire de plus au sujet des musiciens, car comme pour les danseurs d’Ispoure, la renommée des musiciens s’est étendue dans tout le Pays-Basque, mais il semble que pendant ces jours- là, ils en avaient fait plus que jamais.
Cette belle musique qu’amplifiait l’écho, faisait soulever tout Garazi après avoir « tapé » le fronton.
Brave Faustin, combien de cœurs as-tu fait battre très fort à ceux qui étaient restés à garder la maison ! »
Nota : A cette époque, quand les habitants d’une maison devaient s’absenter, quelqu’un restait toujours comme « etxe-zain » (gardien de maison), pour veiller sur les lieux en raison des vols et incendies fréquents qui existaient.
Un grand nombre de danseurs se devaient d’apprendre les sauts basques à Faustinenea, et Faustin savait y déceler les danseurs les plus prestigieux. Dans les années 1930, grâce à lui, les sauts basques connurent des succès sans précédent, bien au-delà du Pays-Basque.
Alexandre Alchourroun, natif d’Ispoure, instituteur à Arneguy, y avait formé de nombreux danseurs ; Dans son ouvrage, intitulé « Luzaideko Ddantzak » le Père Migel Angel Sagaseta Ariztegi racontait l’anectode suivante :
Deux Luzaidars, Martin Cantero et Peiriko Garbayo, bergers dans les montagnes de Cize, apprennent qu’il y a un concours de danse aux fêtes de Garazi. Ils descendent à pied à Garazi pour assister au spectacle. Faustin les aperçoit et leur demande de participer au concours. Ils étaient venus en sabots, mais qu’à cela ne tienne, ils ne se font pas prier. Ils auraient demandé qu’on leur prête à chacun, une paire de sandales, et c’est ainsi qu’ils remportèrent le premier prix.
Parmi les danseurs de Luzaide, le meilleur aurait été Martin Cantero. Il mourut en 1931 à 23 ans et fut inhumé dans son habit de volant. A ses obsèques, Faustin aurait déclaré : « j’ai perdu mon bras droit »
Grâce au parrainage du musée Basque de Bayonne et de Saskimaski de Saint-Sébastien, les danseurs de Garazi-Valcarlos étaient applaudis à Ustaritz, Bayonne, Biarritz, Saint Jean-de-Luz, Saint-Sébastien, Bergara, Vitoria-Gazteiz, Paris, Agen, Bucarest, Londres et à l’exposition universelle de Barcelone.
A l’origine de cette notoriété, les rencontres marquantes avec Edmond Rostand qui l’invita à plusieurs reprises à Arnaga de Cambo, où il croisa Sarah Bernhardt qui appréciait sa musique.
Il rencontra aussi à Bayonne, l’ethnologue anglaise Violet Alford, qui l’invitera à se produire avec ses danseurs à Londres.
Violet Alford, née à Cleeve, dans le Somerset (Royaume-Uni) le 18 mars 1881, morte le 16 février 1972 à Bristol, est une ethnologue, musicologue, folkloriste et illustratrice britannique.
Troisième fille du chanoine de la cathédrale de Bristol Josiah George Alford, Violet Alford est éduquée par une gouvernante sévère. Son père lui donne une solide formation musicale. Elle fait des études à la Clifton High School, puis dans un collège suisse pour jeunes filles de bonne famille.
En 1902, elle est en vacances avec sa famille à Saint-Jean-de-Luz. Au détour d'une rue, un groupe de dantzarak, les danseurs basques, lui apparaît. Leurs costumes bariolés, leurs accessoires, leurs pas de danse sont très semblables à ceux des Morris dancers anglais qu'elle connaît bien. C'est le point de départ d'un intérêt qui ne la quittera plus, la révélation d'une vaste culture qui se ramifie au-delà des frontières.
En 1913, elle a fait la rencontre de Cecil Sharp, spécialiste des musiques et des danses populaires, et elle trouve là, définitivement, sa vocation.
Elle commence une longue collecte dans l'Angleterre, publiant plusieurs ouvrages. Le premier, en 1925, est English Folk Dances
Elle revient dans les Pyrénées, accompagnée de son amie et collaboratrice Sylvia Brennan. Elles se livrent à une étude systématique, consacrant un été entier à une vallée en particulier. Ce sont d'abord le Labourd et la Soule. Puis suivent le Guipuscoa et la Navarre, le Haut Aragon... Violet Alford a toujours son album de croquis et elle joint donc à ses textes et notations musicales des illustrations très justes. Elle entreprend aussi une correspondance et des rencontres avec les spécialistes : Joan Amades et Serra i Boldu en Catalogne, René Nelli en Languedoc, Robert Bégouen et Joseph Vézian en Ariège, Jean Poueigh en Bigorre, Ricardo del Arco et Violant y Simorra en Aragon, J.-B. Laborde en Béarn, J. M. de Barandiaran, Julio Caro Baroja, le chanoine Daranatz, J. A. de Donostia en Pays basque…
Du reste, elle ne s'intéresse pas qu'aux Pyrénées, mais également à toutes les régions de France et d'Europe. Elle étudie par exemple le Bacchu-ber, danse d'épées des Hautes-Alpes.
Violet Alford est le premier auteur à traiter l'ensemble du massif pyrénéen, sur ses deux versants. Ses études sont consignées dans Pyrenean Festivals, publié en 1937 à Londres. À la fois conservatrice, de par son éducation victorienne, dans le constat et le regret que les traditions disparaissent ou sont dénaturées, elle est très moderne dans sa démarche. Ainsi, elle est la première à soutenir la thèse de Bosch-Guimpera sur l'origine endogène du peuple basque et son extension sur la majeure partie de la chaîne.
Invitation à Londres :
En 1927, Violet Alford invite plusieurs groupes à venir se produire à Londres du 22 au 27 Novembre.
Trois groupes de danseurs sont invités par la Folk Dance Society :
- Faustin et 6 volants de Garazi (Martin Apeçarena, J.Bpte Haramburu, Beñat Arrossagaray, Martin Erguy et Etienne Salla)
- un groupe de 10 danseurs Guipuzkoans et 4 musiciens
- un groupe de 7 danseurs souletins et un musicien.
La revue « Gure Herria » de 1928 relate cette expédition, sous le titre « d’Ispoure à Londres » sous la plume de René Delzangles.
A suivre ...
Jean-Baptiste
Faustin Bentaberry à Londres avec ses danseurs
Jean Bentaberry avec ses musiciens à Toulouse
Jean-Baptiste Bentaberry, frère de Faustin, que nous avons connu, pour avoir marqué nos pas. Certains lecteurs se reconnaitront...